J’ai le problème que rencontrent beaucoup de personnes autodidactes : je suis en permanence en train de douter de ma légitimité.
Pendant des années, comme je vous l’expliquais dans les premiers épisodes de cette semaine, j’ai travaillé 3 fois plus que tous mes autres collègues de travail parce que j’étais obsédé par le fait de réussir.
En fait, au delà de cette réussite, qui on peut le dire, a été très aléatoire, je me rends compte que si j’ai travaillé autant, c’était avant tout pour prouver aux autres que je méritais ma place, que je ne l’avais pas usurpée, en dépit de mon absence de compétences.
Absence de compétences, d’ailleurs, que j’étais le seul à connaître, puisqu’on m’avait justement recruté pour celles-ci.
Mais bien entendu, dans ma tête, les recruteurs, puis par la suite mes clients, s’étaient forcément trompés en me faisant confiance et allaient forcément s’en rendre compte à un moment où à un autre si je ne faisais rien.
Résultat : j’ai passé une grosse partie de ma carrière professionnelle à démontrer que j’étais compétent pour ce que je faisais, plutôt que de passer du temps à simplement être ce pour quoi j’étais payé.
Et j’avoue qu’au-delà du temps que j’ai perdu, j’y ai surtout laissé énormément d’énergie.
Ce sentiment, qui a miné mes 30 premières années professionnelles, c’est ce qu’on appelle le syndrome de l’imposteur.
Alors bien entendu, n’allez pas penser que je suis un spécialiste du sujet ! J’ai appris que ce que j’avais vécu s’appelait ainsi il y a seulement quelques années.
Mais le fait de mettre des mots sur ce que je ressentais m’a paradoxalement beaucoup aidé.
Premièrement, ça m’a permis d’objectiver cette émotion, et de me rendre compte qu’elle avait été clairement identifiée.
Conséquence de ce premier point, cela signifiait que je n’étais pas tout seul à la ressentir : il y avait donc d’autres personnes qui vivaient la même chose que moi ?
J’ai vite réalisé, lorsque j’ai commencé à faire mes recherches sur le sujet, que le syndrome de l’imposteur n’était pas juste une pathologie qui touchait quelques rares personnes.
En fait, le syndrome de l’imposteur est super répandu.
Qu’il s’agisse de salariés, ou encore d’entrepreneurs, vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui ne se sentent pas légitimes dans ce qu’elles font, et qui sont convaincues qu’un jour ou l’autre, cette absence de légitimité éclatera au grand jour.
Et quand on regarde la manière dont agissent les personnes qui souffrent du syndrome de l’imposteur, on retrouve trois cas de figure :
- Premièrement, et je fais partie de cette catégorie, nous avons les personnes qui sont dans la sur-démonstration de leurs compétences. Objectif : parvenir à lever le maximum de doutes (qui ne sont que dans la tête de la personne, je le précise) afin de gagner sa place. Sauf qu’à ce jeu là, il n’y a malheureusement aucune fin.
- Deuxièmement, les personnes s’effacent et deviennent des travailleurs de l’ombre. Elles font bien entendu très bien leur travail, mais elles ne s’autorisent pas à se mettre en avant, se laissent facilement couper la parole quand elles s’expriment. Elles passent beaucoup de temps à se former et deviennent d’excellentes techniciennes sur leur job, mais ne rayonnent jamais au point qu’on a même tendance à les oublier.
- Troisièmement, les personnes sont totalement paralysées et prennent des jobs très en dessous de leurs compétences, des jobs qu’elles s’estiment être vraiment capables de réaliser. Elles refusent toute évolution professionnelle, et s’empêchent de faire vivre leurs propres projets, même comme de simples passions, parce qu’elles sont convaincues que même si une partie d’elles-mêmes s’estime capable, elles ne peuvent au final qu’échouer.
En 2006, lorsque j’ai pris mon premier poste de direction, c’est vraiment là que j’ai ressenti pour la première fois le syndrome de l’imposteur.
Jusqu’à présent, je n’avais occupé que des postes très opérationnels, et même si on avait pu me confier quelques responsabilités, je n’avais jamais vraiment réussi à évoluer dans mon travail.
Pourquoi ?
Rétrospectivement, et on en parlera dans l’épisode de demain, parce que j’avais insidieusement tout mis en place pour saboter mes chances d’évolution, mais ça, je n’en avais pas conscience.
J’étais convaincu que personne n’avait réussi à voir mon génie dont moi-même je doutais.
En 2006, donc, je suis à ce moment-là libraire dans une grosse librairie de Grenoble. Et dans cette librairie, je vis littéralement un enfer.
Je subis, ainsi que toute l’équipe, un patron pervers narcissique, et je suis à saturation. Si je ne fais pas quelque-chose rapidement, je vais vraiment finir par péter les plombs.
Or, en feuilletant un magazine professionnel, je vois dans la page annonce qu’une enseigne concurrente cherche des libraires.
Je me dis que même si j’ai peu d’espoirs d’être recruté (coucou le syndrome), je n’ai rien à perdre à envoyer ma candidature.
Quelques jours se passent, et un matin mon téléphone sonne.
La personne m’explique au téléphone qu’elle a bien pris note de ma candidature comme libraire, mais qu’elle trouve que mon profil n’est pas adapté au poste.
Alors que je m’apprête à m’excuser de leur avoir fait perdre du temps avec ma candidature, elle continue :
“nous pensons que votre candidature serait beaucoup plus adaptée pour un poste de directeur adjoint de magasin, et j’aimerais beaucoup vous rencontrer pour en parler.”
Confus et déboussolé, j’accepte le rendez-vous sans trop comprendre, et la machine du syndrome de l’imposteur commence à se mettre en route dans ma tête.
Qu’est-ce qui a pu leur faire penser que j’étais légitime ?
Comment vont-ils réagir quand ils vont réaliser que je ne suis pas compétent ?
Tu n’as pas honte d’aller à un rendez-vous où tu vas faire perdre leur temps aux gens ?
Il y avait encore plein d’autres questions dans ma tête bien entendu.
Et ma manière de gérer mon syndrome de l’imposteur a été la suivante : être dans la sur-démonstration, ce qui m’a conduit, 5 ans après, à mon premier burn-out.
Ce syndrome de l’imposteur, ensuite, m’a vraiment poursuivi dans toute ma vie d’entrepreneur.
Quand j’ai lancé mon agence de marketing digital, j’ai eu l’opportunité de travailler avec de grandes entreprises, qui ont fait la réussite de l’agence (jusqu’à ce que je sabote tout). Des entreprises comme L’Oréal, Renault, ou encore Red Bull pour n’en citer que quelques-unes.
Et clairement, pour une toute petite entreprise, j’étais une exception.
Sauf que plutôt que de m’en réjouir, et de me dire que je le méritais, j’ai passé toutes ces années à me demander pourquoi ces entreprises m’avaient choisi.
Ça ne pouvait bien entendu pas être pour mon talent, il fallait forcément qu’elles aient fait une erreur.
Et donc, forcément, elles allaient un jour s’en rendre compte si je ne faisais rien pour masquer mon incompétence à travailler avec elles.
Résultat : j’ai été pendant encore toutes ces années dans la sur-démontration, en travaillant 7 / 7 jours, et plus de 12 heures par jour, ce qui m’a conduit à prendre 40 kilos et à faire mon deuxième burnout.
C’est à ce moment là que j’ai entendu parler pour la première fois de syndrome de l’imposteur, par mon médecin d’ailleurs, et c’est à ce moment également que j’ai décidé de commencer à fonctionner autrement.
J’avais envie de lancer mon projet de savonnerie artisanale, et je ne voulais pas refaire les mêmes erreurs qu’auparavant : je voulais pouvoir me lancer dans ce projet sereinement.
Ce que j’ai mis en place pour surmonter mon syndrome de l’imposteur
La première chose, ça a été de prendre conscience qu’on ne guérit jamais du syndrome de l’imposteur.
Il est souvent lié à des blessures anciennes, et la seule chose qu’on peut arriver à faire (et c’est déjà pas mal !), c’est vivre avec et comprendre les moments où il se manifeste pour arriver à agir autrement.
Bref, j’ai travaillé sur les situations les plus susceptibles de déclencher le syndrome de l’imposteur chez moi pour parvenir à développer en réaction à ces situations de nouveaux comportements.
Pour cela, j’ai mis en place des stratégies qui m’ont permis de le mettre en sommeil.
La première stratégie a été de prendre l’habitude de m’auto-évaluer.
Là où auparavant, j’imputais la réussite de mes actions à la chance, j’ai commencé à mettre en place des grilles d’indicateurs pour évaluer ces actions. Clairement, pour tout ce que j’entreprends désormais, je me pose ces trois questions :
- Quel est ton objectif ?
- Quelles compétences possèdes-tu pour l’atteindre ?
- Quels sont les indicateurs qui valideront l’atteinte de ces objectifs ?
C’est tout bête, mais ces trois questions m’ont beaucoup aidé. Désormais, je sais que lorsque je réussis quelque-chose, ce n’est pas la chance qui est responsable, mais clairement mon travail et ce que j’ai mis en place.
La deuxième stratégie a été d’apprendre à être fier de mes réussites.
Auparavant, lorsque je réussissais quelque-chose, je passais mon temps à minimiser cette réussite et à mettre en avant tout ce qui n’allait pas.
Maintenant, je me focalise vraiment sur la réussite seule et sur les bénéfices de cette réussite que je liste et que je célèbre !
Et pour le célébrer, c’est très simple : j’ai pris l’habitude de me faire un cadeau, certes symbolique, mais qui vient renforcer ma fierté d’avoir atteint mes objectifs.
La troisième stratégie a été d’accepter qu’on me fasse des compliments
Là encore, auparavant, quand on me félicitait pour mon travail, je passais tout mon temps à expliquer pourquoi ces personnes avaient tort de le faire.
Maintenant, je dis tout simplement merci et je me réjouis de ces compliments.
La quatrième stratégie a été de me détacher du regard des autres
Et ça, ça a clairement été la stratégie la plus difficile à mettre en place. J’ai appris à être indulgent avec moi-même et à me dire une chose essentielle “peu importe que les autres m’approuvent ou non, l’essentiel, c’est la manière dont MOI je me considère”.
Et enfin, la cinquième stratégie a été de DIRE que je souffrais de ce syndrome !
Et ça va vous sembler tout bête, mais le fait de verbaliser les choses, surtout aux yeux des autres, y compris mes collègues ou mes clients, m’a permis de désamorcer énormément de choses !
D’autant plus que la réaction que j’ai souvent, c’est “Tu sais, moi aussi !”, ce qui permet d’avoir un échange fructueux qui rend la relation de travail à venir plus sereine !
Bref, même si mon syndrome de l’imposteur est toujours là, j’ai appris à le surmonter pour qu’il ne me gêne plus au quotidien. C’est ce qui me permet désormais d’aborder de manière beaucoup plus zen mes nouveaux projets.