La philosophie de la frugalité : prendre le temps du thé

philosophie de la frugalité : prendre le temps du thé


Aujourd’hui, je vous invite à ralentir… Aujourd’hui, je vous invite à prendre le temps. 

S’il y a une chose essentielle que m’a appris mon cheminement vers la frugalité, c’est que le temps était mon bien le plus précieux. 

Et qu’il fallait non seulement que je le préserve, mais aussi que je le respecte pour que ce temps que je décidais de prendre soit un temps de qualité. 

Auparavant, j’ai passé mon temps à le brûler, comme l’argent entre mes doigts, comme si ce temps était inépuisable. 

Il fallait, dans ma vie, que tout aille vite, très vite ! 

Il fallait que je réussisse le plus vite possible, que je mange le plus vite possible, et il n’était pas question un seul instant qu’une activité s’éternise trop longtemps. 

Je me rappelle, par exemple, de randonnées durant lesquelles, au bout d’à peine une heure, j’avais l’impression de perdre mon temps ! 

Ou encore de repas de famille, ou entre amis, ingurgités en 20 minutes chrono, entrée, plat et dessert s’il vous plait, pour pouvoir vite passer à autre chose et reprendre ma vie trépidante. 

En fait, avec le recul, je crois que le temps m’angoissait. 

Pas le temps qui passe, car ça, j’avais l’impression d’en avoir à revendre, mais le temps dont on ne « fait » rien, celui qu’il faut savoir habiter pour pouvoir pleinement le savourer. 

Et la conséquence, inévitable, de ce temps gaspillé à vouloir l’accélérer, c’est que tout ce que je faisais était bâclé. 

Plutôt que de consacrer ce temps bien rempli à l’excellence de mes réalisations, je me contentais de résultats médiocres. 

Ce que je vous dis là est particulièrement illustré dans ma vie d’entrepreneur : dans les 3 entreprises que j’ai créé en 10 ans, j’ai toujours tellement eu à cœur d’aller le plus vite possible que je n’allais vraiment jamais au fond des choses. 

Non pas que ce que je faisais n’était pas bien fait : mes clients étaient satisfaits et me recommandaient. Et même si, parfois, un problème surgissait, la qualité de mes prestations ou de mes produits a toujours été reconnue. 

Mais s’ils étaient médiocres, c’était à mes propres yeux. 

Parce que même si mon client me félicitait, j’avais la conviction, au fond de moi, de ne pas avoir fourni le meilleur de moi-même. 

Et pas parce que je n’en avais pas été capable ! Non, juste parce que je n’avais pas voulu le donner. 

Parce que ce que je voulais, c’était pouvoir vite, le plus vite possible, passer au client suivant. 

Bien entendu, je me suis rapidement retrouvé à travailler habité par une frustration constante… Une frustration à l’origine de mes deux burnouts entrepreneuriaux, mais aussi à l’origine de la fin prématurée de ces projets. 

Durant l’année qui vient de se terminer, en 2022, j’ai retrouvé le plaisir de prendre le temps. 

Déjà parce que je n’avais plus la force d’aller vite. Prendre le temps, cela signifiait pour moi de me préserver. Je dirais même plus, cela signifiait pour moi survivre. 

Et en plus de cela, je me suis trouvé dans un contexte professionnel où, si on me demandait des résultats, on ne me demandait pas d’aller le plus rapidement possible ! On me demandait de devenir le meilleur possible, c’est à dire excellent. 

Et pour moi, ça a été quelque chose de radicalement nouveau. 

Même si mon chemin vers la frugalité avait déjà commencé il y a longtemps, cette question du temps était pour moi une difficulté que je percevais comme insurmontable. 

Cette année qui vient de s’écouler m’aura permis de faire cet apprentissage auquel j’aurais donné un nom : prendre le temps du thé

Prendre le temps du thé : une technique pour retrouver le goût du temps

Pourquoi ce nom, « prendre le temps du thé » ? 

Parce que le thé est, selon moi, un des symboles les plus parfaits de l’importance de prendre le temps. 

Et le temps pris sous ses deux dimensions : 

  • Le temps pris comme durée : chaque thé, par exemple, nécessite un certain temps très précis pour être infusé, temps qui lui permettra seul de livrer tous ses arômes. 
  • Le temps pris comme instant : prendre le thé, ce n’est pas un moment qui se brade. C’est au contraire un temps un peu hors du temps, en tous cas loin de la frénésie, et durant lequel le seul objectif est de savourer, par le biais de la boisson, la délicate tessiture de la temporalité. 

Ce n’est pas un hasard si la cérémonie traditionnelle du thé au Japon est largement inspirée des préceptes du bouddhisme zen, et que son organisation, extrêmement codifiée, n’a qu’un objectif : se reconnecter à soi, à ce soi intérieur terriblement négligé et maltraité par la frénésie de nos vies. 

Retrouver le temps des choses, puis, retrouver le goût du temps… Tels sont les deux apprentissages qui m’ont le plus aidé à avancer ces derniers mois. Qui m’ont aidés à me retrouver. 

Retrouver le temps des choses… 

Je me rappelle qu’il n’y a encore pas si longtemps, dès que j’avais besoin de quelque-chose, je privilégiais deux approches : 

  • La première, je l’achetais ! À quoi bon se casser la tête à le faire soi-même ? 
  • La deuxième, je cherchais la méthode pour pouvoir le fabriquer le plus vite possible ! Et si je pouvais diviser le temps par deux que le temps de réalisation normal, c’était tant mieux ! 

Je vais vous donner deux exemples pour illustrer mon propos. 

Admettons que j’aie besoin d’une pâte feuilletée, par exemple pour réaliser une Galette des Rois. 

Voilà comment j’agissais auparavant : 

  • J’achetais la galette toute faite, tant qu’à faire ! 
  • J’achetais la pâte feuilletée toute prête, même si ce n’est vraiment pas bon du tout… 
  • Je cherchais pendant des heures LA recette qui me permettrait d’obtenir une pâte feuilletée en 5 minutes, même si le résultat final allait être, je le savais d’avance, relativement médiocre. 

Alors que fabriquer une pâte feuilletée, ça prend du temps, et c’est le juste temps pour obtenir un résultat parfait. 

Le temps de laisser le gluten de la farine se développer correctement. 

Le temps du tourage, parce que la pâte feuilletée, c’est 6 tours et pas un de moins ou un de plus ! 

Le temps que le beurre se mêle intimement à la pâte pour créer un feuilletage parfait. 

Et pour réaliser la pâte feuilletée parfaite, il vous faudra entre 2h30 et 3h, avec une nuit de repos au frais pour qu’elle soit vraiment utilisable. 

Deuxième exemple, qui m’a permis de prendre vraiment conscience de l’importance du temps, c’est celui de la cure en savonnerie. 

La cure, c’est le temps de séchage du savon, généralement compris entre 4 semaines et 8 semaines, et pouvant aller jusqu’à un an pour certains savons. 

Avant ce temps, le savon est inutilisable. 

Bien sûr, il moussera, vous pourrez vous laver, mais vous n’aurez pas avec votre savon une expérience vraiment optimale. 

Or, beaucoup de savonniers, amateurs ou pros, passent leur temps à chercher des moyens pour parvenir à raccourcir ce temps. 

Quitte à vendre ou à utiliser des savons de qualité médiocre. 

Lorsque j’avais ma savonnerie, je brûlais moi aussi de pouvoir raccourcir ce temps, durant lequel on a l’impression de ne rien pouvoir faire, du temps que je considérais comme perdu. 

Et puis, finalement, j’ai appris à apprécier ce temps. 

Comme des fromages ou des bons vins, j’ai commencé à aimer observer mes pains de savon se bonifier jour après jour… Les différences de texture, les légers changements de couleur, etc. 

C’est le savon qui m’a appris cette patience, qu’aujourd’hui j’essaie de mettre en œuvre dans toutes les tâches que j’accomplis : faire en sorte de respecter le juste temps pour que ma tâche soit réalisée à la perfection. 

Retrouver le goût du temps… 

S’il y a une chose que j’ai toujours détesté, c’est de me retrouver prisonnier d’un temps vide, un temps inoccupé. 

Ces moments, terribles, où on a rien à faire, et où l’ennui, ou pire l’angoisse, peuvent survenir à chaque instant. 

Lorsque ces moments survenaient, je n’avais qu’une seule hâte : meubler ce temps au maximum. 

Entre la musique à fond, la télévision, ou encore sortir et juste marcher pendant des heures pour occuper la tête et les jambes, j’avais plein de stratégies à ma disposition, plein de divertissements comme le disait le philosophe Pascal, pour m’empêcher de me retrouver confronté à ce temps que je percevais comme mort, terrifié par ce que je pourrais bien y trouver. 

Sauf que l’année qui vient de s’écouler m’a appris une chose : le problème, ce n’était pas ce temps vide… le problème, c’était mon incapacité à apprécier ce temps qui ne demandait qu’une seule chose : être pleinement vécu dans l’inaction. 

Je me suis posé la question : qu’est-ce qui m’empêchait de me sentir bien dans ces temps pour moi ? 

Qu’est-ce qui me poussait à les remplir à tout prix, plutôt que de ressentir la profonde beauté de leur vacuité ? 

La réponse était simple : je ne pouvais pas supporter de me trouver confronté à moi-même. 

Confronté à mes peurs et mes angoisses. Confronté à mes regrets ou mes remords, qui à bientôt 50 ans commencent à s’accumuler dangereusement. 

Confronté, surtout, à la réalité de ne plus avoir beaucoup de temps, ou plutôt d’avoir encore le temps, mais pas tant que ça non plus. 

J’ai donc essayé de changer mon regard sur ce temps et de l’apprécier pour ce qu’il était, un cadeau que me faisait ma petite vie, et ça a changé beaucoup de choses.

Notamment le fait que j’étais mon bien le plus précieux, et que quels que soient mes objectifs, quels que soient les impératifs de mon quotidien, ils ne pouvaient passer qu’après le plus important : mon bien-être. 

 

« Prendre le temps du thé » est certainement une des dimensions que je préfère dans la philosophie de la frugalité. C’est un cheminement complexe et tortueux que de renouer avec son temps, mais c’est un cheminement essentiel, qui m’a conduit à une plus grande simplification de mon quotidien. 

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